
CONTEXTE
AKUNNAAQ EST UN PETIT VILLAGE GROENLANDAIS TRADITIONNEL SITUÉ DANS LA BAIE DE DISKO DANS LE CERCLE POLAIRE ARCTIQUE.
AKUNNAAQ FAIT PARTIE DE LA COMMUNauté DE QEQERTALIK.
CONSTITUÉE DE 163 HABITANTS EN 1991, LA POPULATION LOCALE AUTOCHTONE DE L’ÎLE COMPTE AUJOURD’HUI UNE CINQUANTAINE D’HABITANTS PÊCHEURS ET CHASSEURS.
LES TEMPÉRATURES EN HIVER OSCILLENT GÉNÉRALEMENT ENTRE -15°C ET -30°C. DÉBUT DÉCEMBRE, LE SOLEIL DISPARAÎT SOUS L’HORIZON POUR UNE DURÉE DE PRESQUE SEPT SEMAINES POUR RÉAPPARAITRE PROGRESSIVEMENT AU MOIS DE JANVIER.
Résidence d’artiste en autonomie dans le village d’Akunnaaq au Groenland, en décembre 2024

APPROCHE CONCEPTUELLE DE LA CRÉATION
« Par delà nature et culture » de Philippe Descola…
Faisant suite à cette lecture, cette aventure arctique va à la rencontre de l’altérité, en documentant fiction et réalité pour faire résonner le microscopique avec le macroscopique et peut-être trouver un sens à l’expression « avoir lieu » si singulièrement exprimée ici.
Première rencontre avec la disparition de la notion d’échelle, ici, dans la nuit polaire, ±66° Nord, par -20°C et un ressenti bien en-dessous dans le blizzard…
Toutes les sensations renvoient à l’indistinction incommensurable entre l’immense beauté et le détail si cristallin de cette nuit sans fin, malgré les doigts gelés et la fatigue psychique de la désorientation polaire…
Hors de portée de prime abord, un reaf se révèle être facilement franchissable en trois mouvements alors qu’une rupture topographique d’apparence anodine invite, par ses dimensions gargantuesques, à l’humilité et au respect de cette terre fragile, lorsque j’en tente la traversée, l’ascension ou la descente.

De même, les autochtones, si généreux et souriants, dans cet univers de simplicité relative et d’apparente liberté spatiale, arborent une culture et des savoir-faire d’une grande délicatesse.
Mais leurs traditions sont mises à mal par le néocolonialisme et le changement climatique.
La chasse et la pêche sont directement affectées par la fonte, la pollution des eaux, la recherche minière et les nouvelles routes de la soie. Nombreux défis d’adaptations et grandes difficultés au quotidien en résultent chez les habitants et laissent pantois quand à leurs brillantes capacités de saisir localement le collectif et des régimes d’entre-aide pour y faire face.

J’ai souhaité, au sein de cette magnifique communauté, et pendant la nuit polaire, qu’on appelle ici « Kaperlak », approcher au plus près le rapport entre ce qui reste d’apparence « sauvage », c’est à dire l’Érème, l’inhabité, et ce qui est domestiqué par l’Humain, c’est à dire l’Écoumène, l’espace habité, par les usages & les pratiques.

Ici le dialogue sonore entre ces deux entités géographiques, Érème et Écoumène, qui coexistent encore tant sur le plan économique que symbolique (l’érème ayant presque disparu de l’occident depuis belles lurettes), invite à la narration de friction (la fiction avec un « air ») dont le protocole de récolte et de récit allient prises de sons du milieu cryogénique (la glace, la neige, la banquise, le frasil…), détails subtils de ce qui se trame en interne dans le cannibalisme de la fonte des calottes, avec des captations environnementales convoquant le lointain, l’activité des humains et son impact sur le milieu, dont la forte présence du pétrole dans le paysage acoustique. Contrairement à une approche « naturaliste » dont je laisse le soin à de bien meilleurs spécialistes que moi, et malgré une faune magnifique de corbeaux, de mouettes tridactyles, de renards polaires, d’eiders et des dernières sternes, c’est le jeu de friction entre l’érème et l’écoumène qui m’a occupé cinq semaines durant.
En parallèle de ces pièces, dans le froid et l’obscurité, afin de constituer des narrations in-situ ayant conduit à la création de deux pièces radiophoniques : Anori (le vent en Kalallisut) et Siku (la glace). l’expérience sonore avec la glace a été enrichie dans les moments les plus sombres et les plus froids de la nuit polaire, confiné de force par les aléas climatiques et l’ostracisation inéluctable dans ces conditions, dans la cabane des artistes à Akunnaaq.
Deux autres pièces expérimentales, Radio-Storm et Foreshadows ont été enregistrées avec les moyens du bord : de la glace (en plaques, en tambours de fortune, etc), un petit saxophone soprano-courbe, un dispositif modulaire de radio (SW&FM) et un oscillateur d’ondes enregistrés sur la SoundDevice mixpre avec des hydrophones Aquarian et petits microphones de field-recording en diverses configurations mono et stéréo (DPA4060, 4099 et EARSIGHT).

Un très bel échange a eu lieu, au moment d’un concert immersif dans la petite chapelle Baptiste du village, où une doyenne respectée a pu exprimer ses interrogations sur la manipulation de la glace en contexte syncrétique (chamanisme et protestantisme) mis en forme par un artiste occidental.
Cela m’a fortement ému et inspiré pour la suite du travail et continue de nourrir la réflexion. Le travail de mastering est en cours et les œuvres seront prochainement disponibles sur les plates-formes habituelles et en format CD/Vinyl d’ici fin 2025.
Second volet du travail artistique, la documentation photographique s’est appuyée sur un protocole strict et relativement similaire à l’approche sonore, c’est à dire le dialogue macro/micro dans les espaces et lieux parcourus. Premièrement, une seule focale fixe très lumineuse en 35mm pour capter les détails de la nuit polaire et un cadrage systématiquement vertical en noir et blanc, de type photographie de rue, bien qu’il n’y ait pas de rue, ou très peu, dans l’environnement arctique.
Choix délibéré, l’abandon de la couleur, qui en arctique est extrêmement subtile et d’une grande beauté, fut un choix nécessaire pour mettre l’accent sur les questions spatiales. La photographie de paysage en mode portrait m’a permis ici de convoquer le hors champs de manière beaucoup plus fluide qu’avec un rapport de cadrage en mode paysage, ou « naturaliste» avec ses attendus d’icebergs ou glaciers en effondrement, écueils de la documentation extractiviste spectaculaire et exotique occidentale.









Extraits d’une série de 44 tirages en format 50cm/70cm sur papier Hanmuhle German Etching, disponibles à la vente, me consulter via le formulaire contact


Série de contre-fictions cartographiques à l’aquarelle, au sel et au miel.
Formats 50cmx70cm sur papier noir.
Enfin, pour témoigner que les choses « ont lieu », un ensemble de documents de contre-fictions cartographiques a été levé, à l’aquarelle, mettant en œuvre les opposés sel-miel, liquide-solide, chaud-froid, noir-blanc dans le but de résonner conjointement avec le son et l’image.
A mon retour, j’ai prolongé ce travail graphique dans des miniatures d’aquarelles sur plaques de verre gelées à la manière d’un laborantin qui interrogerait la structure du carottage de glace au microscope. Une série de macro-photographie en découle et s’articule avec le travail réalisé localement.









Série en création, résidence de création à venir pour la formalisation des supports.
QUELQUES RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES :
PENSER COMME UN ICEBERG, De Olivier Remaud, édition Actes Sud 2020
RÊVES ARCTIQUES, De Barry Lopez, éditions Gallmeister 2014
TAQQAT UUMMAMMUT AQQUTAANNUT, De Aqqaluk Lynge, éditions Polar Institute Press 2008
LE DROIT AU FROID, De Sheila Watt-Cloutier, éditions Écosociété 2019
BANQUISES & GLACIERS, Revue RELIEFS n°17 & n°18, éditions Reliefs 2023
CARTOGRAPHIE RADICALE, De Nephthys Zwer et Philippe Rekacewicz, éditions La Découverte 2021
Soutenu par la SCIC-Habitée, Lieux-Fauves & CoinCoin Productions
Expérimentation
labellisé Année de la MER
par le ministère de la culture
